Frédéric Simonin : quand le simple devient gourmand
Contrairement à d’autres, son parcours n’était pas tracé et pourtant aujourd’hui, il sait mieux que personne ce qu’il veut. Frédéric Simonin nous a ouvert les portes de son restaurant et partage avec nous son sens de la gourmandise. Au menu : asperge du Vaucluse, paysans français et madeleine de Proust. Rencontre avec ce chef discret aux multiples dons.
Au 25 de la rue Bayen, une belle façade noire fait angle. Il s’agit de celle du restaurant de Frédéric Simonin. Sobre et élégant, le décor de son établissement est à l’image de ce grand chef. Moquette en damier noire et blanche, quelques photos elles aussi en noir et blanc par ci par là. Il est 11H, le restaurant n’est pas encore ouvert. Pour l’heure, on s’affaire à changer les orchidées jaunes dans les soliflores de chaque table. L’ambiance est sérieuse et paisible. Le chef s’avance vers nous le sourire aux lèvres, il nous reçoit dans le petit salon. Cela fait maintenant 7 ans qu’il s’est lancé avec sa brigade dans l’aventure de son premier restaurant. Le pari gagnant, car il récolte une étoile après à peine mois d’ouverture. Une success story dont il reste pourtant très humble. « On ne s’y attendait pas, nous étions très contents pour l’équipe et l’établissement ».
Parcours d’un chef qui ne voulait pas le devenir
Portrait du chef Frédéric Simonin
Avant d’être à la tête de son propre restaurant, Frédéric Simonin fait ses armes dans les plus grandes maisons. Avec Ghislaine Arabian chez Ledoyen, Joël Robuchon à Paris puis à Londres ainsi que dans de grands palaces parisiens comme Le Meurice ou encore le Georges V. Pourtant, la cuisine et les palaces n’étaient pas son dada étant plus jeune. « Je voulais être militaire, faire carrière dans l’armée. » nous apprend-t-il. Quand on lui demande d’où vient cette passion pour la gastronomie, c’est un Frédéric Simonin un brin poète qui nous donne comme réponse, une comparaison gourmande : « Ma passion pour la cuisine est venue en travaillant, comme l’appétit vient en mangeant ».
Jus gras, noisettes de chez mémé et petits farcis
Les madeleines de Proust du chef sont comme lui : simples mais efficaces. Son plat souvenir ? Il n’en a pas vraiment. Ce dont il se souvient le plus, c’est « ce jus gras des plats que l’on venait éponger avec un morceau de pain ». Un subtil mélange absolument gourmand mêlant le « croustillant de la baguette encore chaude » à celui du « jus gras perlé ». Autre souvenir dont il nous fait part avec beaucoup d’émotion, le noisetier de chez sa « mémé » comme il l’appelle. « Elle braillait parce que j’étais à moitié sur l’arbre en équilibre en train d’arracher les noisettes. Je les cassais et les mangeais directement sur place ». Le plus important dans ce souvenir ? Son « intimité avec la nature » qui faisait sens hier, agenouillé au pied de ce noisetier, reste au centre de sa réflexion culinaire aujourd’hui. « La beauté de quelque chose est due au fait d’être en harmonie avec soi-même et ce que la nature nous donne ». Une réflexion très sage qui le mène à se questionner sur le bonheur en général, et pour Frédéric Simonin c’est peut-être « de bons petits farcis » nous répond-il.
Saisonnalité d’ici et d’ailleurs
Photo de la carte du restaurant accompagnée d'une renoncule fraîche
Des noisettes de chez sa grand-mère aux commandes de son restaurant, son amour des produits est resté intact. Selon lui, si hier on ne parlait pas autant des produits en gastronomie c’est « parce qu’ils étaient tout simplement bons ». Avec la mondialisation, « tout devient compliqué » et on a cette envie de revenir aux fondamentaux.
Et dans sa vie comme dans son assiette, Frédéric Simonin est un homme de principes. En amoureux des produits, le chef est logiquement attaché à la saisonnalité. Du printemps jusqu’en hiver, ses fruits, légumes mais aussi ses poissons et ses viandes défilent à son restaurant au fil de leur « cycle naturel de production » comme nous confie le chef. Tout vient à point à qui sait attendre pour ce chef animé par le respect et l’attente en essayant d’être « au plus juste des saisons françaises en travaillant avec ce que nos producteurs ont sur le moment ». Impossible par exemple de « toucher aux poissons quand ils sont en période de frai [de reproduction] et que les femelles sont pleines d’œufs ». Pareil pour les viandes, où les vaches mettent bas en fonction de la température extérieure. « Ce n’est pas toujours facile, il faut s’adapter » nous avoue le chef.
Frédéric Simonin privilégie à 95% le circuit court et en direct avec les paysans. La complexité à obtenir certains produits en circuit court (NLDR. Eloignement géographique, volonté du producteur pour une facilité d’organisation de travailler avec Rungis qui redistribue derrière) fait que le chef travaille aussi avec des fournisseurs parisiens en intermédiaire. « Ce serait mentir que de dire que je fonctionne à 100% avec des paysans » nous avoue le chef. Malgré tout, « mon but reste de travailler au maximum en direct avec les producteurs, sans passer par des intermédiaires » complète ce chef engagé dans la mise en avant de nos paysans français.
Au-delà de son goût pour la saisonnalité et le terroir français, durant sa carrière et au fil de ses périples, les papilles du chef se sont empreintes de saveurs d’ailleurs. Alors en plus de respecter les saisons françaises, le chef, en exportant ses produits fétiches de l’étranger, suit aussi les saisons d’autres continents. Ses protégés, dont le citron Yuzu, le Kombu et l’ail noir Aomori sont ainsi acheminés du Japon jusqu’au restaurant, pour le plus grand bonheur du chef. Faire venir des produits exotiques en France comporte aussi un autre avantage : celui d’avoir des fruits de la passion toute l’année et du melon en hiver, car en Guadeloupe par exemple, Noël se fête sous un soleil éclatant.
Du champs à l’assiette
Derrière les fourneaux, la qualité des produits est primordiale pour la cuisine de Frédéric Simonin. « Un poisson pêché la veille a une chair ferme contrairement à celui qui n’est pas frais dont la chair s’écrase sous le pouce » nous explique le chef. Pour la maison, la qualité des produits n’est pas une option, c’est une obligation. « On ne peut pas mentir à la clientèle, quand on se dit restaurant de qualité et amoureux des produits, il faut que la vérité soit dans l’assiette » insiste-t-il.
En ce moment, ce sont les grosses asperges vertes venues tout droit du Vaucluse de chez Galice qui sont à la carte. Elles sont servies en entrée, tout juste rôties, farcies aux anchois de Cantabrie, gratinées au vieux Parmesan et accompagnées d’une meringue molle au Cédrat et Calamansi. Pour le chef, il n’y a de secret : « Quand on a un beau produit de qualité, on a forcément une belle cuisine derrière ». C’est le produit qui fait la cuisine et non l’inverse. Le cuisinier est selon Frédéric Simonin seulement là pour « sublimer et l’emmener [le produit] à son essence ». Ces asperges de calibre 26 pesant chacune 150 à 200 grammes y font pour beaucoup dans le résultat final. Pareil pour les morilles farcies et braisées au vin boisé servies avec une royale de foies blonds, fleur d’ail et petits mourons. Avec le printemps fraîchement débuté, c’est la pleine saison pour la morille, ce champignon venu tout droit de Nointel du Val-d’Oise, aux portes de Paris.
Photo de la liste des principaux producteurs figurant à la fin de la carte du restaurant
Le chef adepte des métaphores s’amuse à comparer les produits de qualité à l’architecture ou à une course automobile. « On ne fait pas une course de Ferrari en Deux Chevaux » de même « qu’on ne construit pas un immeuble qui tient la route avec des briques de mauvaise qualité toutes friables ». Il n’y a donc pas de secret et Frédéric Simonin tient à ses produits et ses producteurs comme à la prunelle de ses yeux. Il les sélectionne avec soin et entretient avec eux une relation qu’il affectionne particulièrement. Parmi eux, figure le célèbre Jean-Yves Bordier qui fournit au chef son fameux beurre. En hommage, comme il le dit, Frédéric Simonin a souhaité que tous ses principaux producteurs figurent sur sa carte. D’une pierre deux coups, ce clin d’œil apporte une réelle traçabilité pour le client. Chez Frédéric Simonin, nul besoin de tricher, la vérité parle d’elle-même.
C’est au final, ce qui caractérise le mieux ce chef. Une prise de liberté débarrassée de toute fioriture inutile. Il met l’accent et son juste talent au service de la gourmandise. Son don ? Transmettre à sa brigade comme à ses clients des émotions à travers ses assiettes.